Extrait de la préface : Rovere Ange, « Préface », Pascal Paoli. De Lumières et d'ombres 

Avec « son » Paoli, Ange Rovere apporte une nouvelle pierre à sa réécriture de l’histoire de la Corse et des Corses entre siècle des Lumières et Révolutions. Ce livre s’inscrit en effet dans une entreprise au haut long cours, marquée notamment par la parution d’une biographie remarquée de Mathieu Buttafoco, 1731-1806. Un homme dans le siècle des Révolutions1, que le lecteur retrouvera fréquemment dans les pages qui suivent, et la publication de L’Église de Corse en révolutions : xviie-xviiie siècles2. Agrégé d’histoire, Ange Rovere est fidèle au programme que le vénérable Comité des Travaux Historiques et Scientifiques s’est fixé depuis le xixe siècle : revenir aux sources, les éditer, les expliquer et les partager à la fois avec un public d’amateurs accomplis, d’historiens de métier, mais aussi à destination de toutes celles et ceux qui sont curieux d’histoire, de patrimoine et de culture. Membre de la section Histoire contemporaine et du temps présent dudit Comité, Ange Rovere réussit à entrelacer ces trois horizons historiques avec maîtrise et conviction. En résulte un livre dense, riche mais toujours accessible, où il déploie tout son talent sans jamais taire ses convictions et ses désaccords par rapport à ses devanciers ou ses contemporains. C’est le signe des ouvrages marquants que de ne pas susciter un consensus tiède. À l’évidence, ce « Paoli » en version kaléidoscope, comme l’annonce le sous-titre, milite pour une révision historiographique. Figure des Lumières et des Révolutions saisies aujourd’hui dans une perspective transatlantique sensible aux circulations, aux réappropriations des modèles, mais aussi aux singularités des parcours et des itinéraires, Paoli fascine bien au-delà des rivages corses. La plume talentueuse et l’enthousiasme 12communicatif de James Boswell (1740-1795) y sont pour beaucoup et Ange Rovere le montre fort bien. Avec le succès fulgurant d’An Account of Corsica. The Journal of a Tour to that Island ; and Memoirs of Pascal Paoli, by James Boswell, Esq (État de la Corse. Journal d’un voyage dans cette île et Mémoires de Pascal Paoli)3, le jeune aristocrate écossais a créé dès 1768 une figure publique, à laquelle l’opinion éclairée peut s’intéresser voire s’identifier, et durablement, bien au-delà des rivages de la Corse et de la Méditerranée. Paoli participe ainsi à la manière d’un Benjamin Franklin à l’invention de la célébrité, pour citer un des livres majeurs d’Antoine Lilti4, mais aussi au-delà des effets de mode, à la construction d’une autorité. Ange Rovere montre le rôle des périodiques dans cette construction du récit des brave Corsicans et de leur nouvelle figure de proue. Mais, il reprend le dossier à nouveaux frais, pour étudier la complexité du personnage, ses parts d’ombre – qui n’en a pas ? – ses influences et son projet. Pour ce faire, il était indispensable de faire retour aux sources et notamment aux nombreuses archives privées, si riches en Corse. Avec la générosité et la rectitude morale qui le caractérise dans son métier d’historien comme dans son engagement public et civique, Ange Rovere a non seulement depuis longtemps conquis ses lecteurs, mais il leur a partagé les fruits de ses découvertes, ses certitudes comme ses hésitations. Ici, il reconstitue pas à pas l’itinéraire personnel de Paoli mais aussi une infinité de trajectoires individuelles qui croisent la sienne aux différentes époques de sa vie. Ce livre est bien plus qu’une biographie, il propose une histoire des temps modernes, de la Corse en Méditerranée et en Europe. On y lira l’influence intellectuelle et politique du modèle machiavélien comme celle des structures socio-économiques, des familles et de leurs intérêts, des territoires aussi, qu’éclairent les remarquables cartes de Joseph Martinetti. De ce point de vue, les connaisseurs de l’histoire corse retrouveront des noms familiers, quand ceux qui vont découvrir la riche histoire de l’île entre siècle de Louis XV, pour paraphraser Voltaire, et Révolutions, seront accompagnés d’une main ferme dans un dédale passionnant. 13Il faut donc lire le Paoli d’Ange Rovere et savoir gré à son auteur d’un rare sens du partage.

Pierre-Yves Beaurepaire

Professeur d’histoire moderne
à l’Université Côte d’Azur

Membre de l’Institut universitaire de France